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Quelques remarques et
propositions à propos de la mise en voix, et quelques exercices que j’utilise
Centrage du sujet –
remarques personnelles liminaires :
Part et rôle respectifs de la mise en voix et de la technique vocale
Le public de chanteurs visé par nos chorales,
qu’elles soient d’enfants ou d’adultes, est composé d’amateurs réunis pour une pratique
collective. La répétition, situation musicale très largement dominante
dans l’activité du groupe, trouve sa place le plus souvent en fin de journée,
après les contingences personnelles, familiales, professionnelles.
La mise en voix ne doit pas se confondre avec un
cours de technique vocale – de même que la maîtrise des techniques vocales ne peut
se résumer à cette activité de début de répétition.
La technique vocale n’est pas l’objet premier d’une
pratique collective, ni la recherche d’amateurs, même si, associée au plaisir
musical, elle permet de tendre vers un accomplissement vocal personnel.
Les gestes minima de l’émission vocale et du
contrôle audio/sensitif de la voix sont considérés comme acquis. Le lieu de
leur acquisition est l’ensemble de la répétition, lorsque le chef de chœur, par
ses compétences vocales personnelles, saura mettre en regard d’une difficulté
musicale de la partition une proposition de solution vocale technique.
La mise en voix est le moment de la prise
de risques. Placée en début de séance, elle apparaît donc comme un
moment à privilégier et à respecter par tous, car elle va permettre de
passer :
des activités quotidiennes au moment
de musique
du non-musical au musical
de
la voix parlée à la voix chantée
de
l’onomatopée ou bruit à l’articulation
mélodiée
de la
homophonie langagière à la polyphonie chorale
de la
production axée sur le sens à l’écoute
interne et écoute des autres
de la
fonction cummunicative à la fonction esthétique
du
temps fluide au temps organisé par la métrique
Il s’agit donc, dans ce
temps de 15 minutes environ en début de séance, d’éveiller à la conscience et
aux sens une utilisation de la voix et de l’écoute sensiblement différente de
celle qui a dominé la journée : le
langage verbal, de code oral.
Les exercices-type suivants vont donc faire appel
·
à notre mémoire pallesthésique (appelant aux
souvenirs des expériences vécues lors de
l’apprentissage vocal en s’appuyant sur le champ des sensations)
·
à notre mémoire kinesthésique (appelant à la
physiologie et à la musculature de l’appareil phonatoire, dans le champ des
mouvements)
·
à notre potentiel propriosceptif (les
perceptions du mode vibratoire)
Typologie d’exercices |
Préparation
corporelle :
Il s’agit de relâcher toute tension de la sphère
laryngée, du cou, des mâchoires, du visage, du front, de la langue, ... De
même, relâchement de la sangle abdominale et du thorax.
La posture occupera d’emblée notre préparation. Le
corps doit trouver son placement vertical. L’équilibre postural relève de
l’organisation du chanteur dans l’espace, qu’il va structurer avec l’ancrage de
sa posture et l’axe de sa verticalité. Exercices de recherche d’équilibre, de
bascule du bassin, d’ancrage dans lequel la respiration va jouer un rôle
prépondérant.
Les exercices sont multiples, souvent apparentés à
la relaxation, à l’eutonie, au Taï Chi, etc… Chacun peut se constituer sa
panoplie personnelle d’exercices qui « marchent », en veillant à la
lenteur, à la souplesse, à la liaison avec les temps de la respiration (inspir
– apnée – expir - apnée) (remarque :
l’apnée est l’échange d’état, le « temps d’avant », comme dans l’art
chevaleresque du tir à l’arc, art martial du Tao) .
Citons : rotation du cou, des épaules ;
massage de la face, des ailes du nez ; bâillement ; mouvement de la
langue, avec l’apex faire « le tour de sa bouche » pour en sentir les
reliefs et les volumes qui deviendront un des sièges de la résonance ;
chute de buste en avant puis redressement très progressif, vertèbre par
vertèbre ; balancement des bras, avec ou sans rotation du buste ;
etc…
Eveil de la
respiration abdomino-thoracique :
·
Mains sur les côtes flottantes pour sentir /
contrôler / provoquer l’ouverture et le soutien
·
Souffler en pffffffff…
continu, ou en flèches d’énergie pfff // pfff
// pfff …
·
Halètement du petit chien
·
Echanges à deux de type « Ping-pong respiratoire »
·
Par groupes de cinq ou six, former des môles
circulaires en tenant ses voisins au niveau des côtes flottantes. Respirer avec
les mouvements d’élévation / ouverture d’une méduse. Lentement : vocaliser
l’expir sur des hauteurs aléatoires (cf. clusters harmoniques), sur Hhhô – Hhhô
– Hhhô, sur Mmmou – Mmmou,…
Eveil de l’appareil vocal,
dans ses différentes composantes :
N.B. : les exercices se font – sauf mention contraire
- par progression ascendante de demi-ton en demi-ton, dans une tessiture moyenne.
On élargira en alternance vers le grave pour alti et basses (sans « creuser »),
vers l’aigu pour soprani et ténors (sans « durcir » ni « serrer »)
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Adapter sur d’autres
phonations, comme Miam-Miam-miam, selon le public et les recherches de sensations colorées.
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Dissocier mouvement
mélodique et geste vocal
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Ici : vérifier le recto-tono de
l’intonation ; les attaques en-dessous par le [v] sont très audibles et
peuvent être corrigées en « mouillant » ce [v], en gommant la dureté
Soulèvement du voile du palais, écartement des piliers
du voile :
Se permettre de ressentir le mouvement vélaire
(c’est à dire : élèvement / abaissement du voile du palais)
Proposition d’exercice : alternance des
syllabes ‘ng > ga…‘ng > ga…‘ng > ga , avec ‘ng comme dans song en anglais, ‘ng en position basse
du voile, ga en soulèvement.
Rechercher les sensations vibratoires des résonateurs :
chanter sur 3 octaves, en recherchant vibration et projection
:
- au niveau des clavicules ou du sternum pour la production
en registre de poitrine
- sur la lèvre supérieure (et les incisives supérieures
de façon imagée pour les enfants) pour la perception de bouche. Se permettre
de « mettre la voix en bouche » comme un bon vin !
-très haut au zénith de la boîte crânienne et sur le
front pour la perception orientée et figurée du registre de « voix de
tête » féminine ou la « voix de fausset » masculine
Ces deux notions
conjointes de vibration et de projection font appel à quantité d’images que la
pratique permet d’abonder et que la mise en voix permet de rappeler, comme
celle de la vague qui part de l’arrière du cou et recouvre le crâne du chanteur
en passant par-dessus sa tête, recouvrant le crâne, portant la voix comme une
planche de surfeur. Autre image pour une sensation identique : celle de la
voix comme un capuchon de moine, accroché à l’arrière à la taille et
enveloppant la tête jusque très en avant.
Légèreté vocale : sauts de Quinte (penser à inverser
mentalement le mouvement mélodique ascendant/descendant) :
Vélocité et
légèreté :
Energie et projection
vocale, ainsi que développement de l’aigu :
(à compléter sur [é] et
[è] afin de ne pas se limiter au
premières harmoniques du son que privilégient les nasales [on] et [an] de
l’exercice.
Perception et travail de la justesse des hauteurs,
de la justesse des intervalles mélodiques :
Tout chanteur, amateur ou professionnel, est
confronté au problème de la justesse, lieu de la prise de risque, « de
tous les dangers » pour l’oreille du chœur ou des
auditeurs ! !….
L’entrée en musique que constitue notre instant
présent de mise en voix se doit d’aborder aussi perception et travail de la
justesse :
dans les exercices de type vocalise, en privilégiant
les intervalles qui « ont le pouvoir » dans notre système tonal
(tierce – quarte – quinte – octave, qui sont aussi les intervalles harmoniques
des consonances et des cadences)
en privilégiant ces mêmes intervalles dans l’écriture
des exercices préparatoires ou techniques
en utilisant les chansons populaires comme références
de justesse mélodique des diffrérents intervalles (document Annexe 1). Une
fois connues de tous, ces références deviennent communes et la justesse devient
un bien commun.
en abordant les intervalles plus difficiles d’intonation
par mouvement disjoint puis conjoint . Exemple : le travail d’une
septième se fera par saut d’octave puis mouvement conjoint de seconde, avant
que d’être abordée en saut de septième
en sélectionnant comme thème d’exercice préparatoire,
de vocalise, d’exercice pour un autre sujet (projection, soulèvement vélaire,…)
une suite mélodique réputée comme difficile dans une pièce au travail durant
la répétition, et qui pourra ainsi déjà être étudiée du point de vue de sa
justesse et de la justesse du geste vocal.
La
polyphonie :
Sons sirènes : glissando très progressif de l’aigu
vers le grave et inversement,
N.B. : tous ces exercices sont faits en
dissociant hauteur et intensité
Sur les notes d’un accord M / m / 7ème / 9ème :
parcours individuel en arpèges de l’accord,
de libre mouvement mélodique, pulsé par le chef ou de métrique libre. Cet
exercice crée un système harmonique oscillant (« tintinabulatoire »)
dans lequel chacun doit pouvoir sentir sa pertinence vocale personnelle (sa
place dans le chœur) et sa pertinence harmonique selon qu’il chante la fondamentale
/ la tierce / quinte / la septième (sa place dans l’édifice harmonique).
Ceci peut se faire en cercle (plusieurs cercles
suivant le nombre de participants), en se regardant ou en se tournant le dos
selon le mode relationnel à privilégier : le regard ou l’écoute.
Cultiver et développer la culture cadentielle :
chanter des enchaînements cadentiels simples, tonaux, Majeur et mineur :
5 5
V I
7+ 5
V I
I IV V I
Jouer sur des « anatoles » (squelettes harmoniques)
de type I – IV – V - I, et développer l’improvisation
mélodique sur ce canevas harmonique simple répété en boucle.
Geste du corps <–>
geste vocal :
Le geste corporel associé au
geste vocal / à la phrase vocale, permet de développer et de fixer les
sensations. On peut (doit ? ) dès lors accompagner une phrase mélodique
d’un mouvement chironomique (« dessiner / sculpter les sons » :
à nouveau le corps participe à la construction musicale axée et centrée
verticalement) :
la projection de l’expir représentée par une simulation de lancer,
tirer le son de sa bouche comme une ficelle d’un écheveau
pousser les murs avec les mains, paumes à l’extérieur,
à partir des côtes
Tout geste visera à la
conscience vocale / musicale autant qu’à la souplesse du flux sonore, à
l’absence d’efforts et de tensions, ou à la dissipation de ceux-ci.
N’oublions jamais que notre
pratique vocale est précédée d’un « vécu », celui de la journée qui a
apporté sa cohorte de soucis, de stress, de phases psychologiquement fortes,
qui ont contribué à nous placer dans un état émotionnel pas toujours favorable
au chant.
Le contexte collectif de la
pratique chorale nous impose de tenir compte d’une part de la multiplicité des
choristes à l’instant de la répétition, d’autre part des impératifs d’union des
talents et des capacités.
La gestique (personnelle ou
collective) contribue à réaliser ce double objectif, tout en ancrant les
techniques vocales par les mémoires kinesthésiques et pallesthésiques cumulées.
Le geste est redondant du son, métaphore de la voix.
Eveil du « corps
rythmique » :
Du geste, on passera à
l’éveil rythmique, « mise en rythmes » du corps.
Le temps musical (à
l’exception du plain chant par exemple) est un temps organisé en pulsations
(isochrones ou non), selon le processus temps
fort - temps faibles - exploitation des durées relatives entre elles.
La préparation doit prendre
en compte cet élément :
dans les autres exercices, par le soin apporté à l’aspect
rythmique des vocalises plutôt mélismatiques
dans le pulsé des exercices harmoniques précédents
dans des exercices respiratoires :
inspir
sur 3 / 5 / 7 pulsations
apnée
--------------------------
expir --------------------------
apnée
--------------------------
exercices responsoriaux chef <-> choristes d’imitation
de formules rythmiques tirées des œuvres au travail
chœurs parlés rythmés : phrases, puis canons rythmiques
Cas particulier de la mise
en voix préparatoire à un concert :
Le cas spécifique de la mise
en voix avant un concert devra prendre en compte de nouvelles
spécificités :
établir d’emblée une cohérence du groupe choral
ressentir sa place dans le pupitre
sentir la présence des autres pupitres, très différente
de la salle de répétition
adopter l’acoustique du lieu de concert, ou s’y adapter,
ou l’adapter à vous : le chef de chœur règlera le placement du groupe
lâcher toutes tensions néfastes à la qualité vocale
et à la situation de concert ainsi qu’à ses exigences de qualités
Remarques personnelles, en
guise de conclusion très provisoire :
Il n’y a pas de
« programme » polyvalent de mise en voix, applicable point par point,
selon un ordre séquentiel pré-défini. Chaque répétition apporte par ses
spécificités liées au jour, au vécu des choristes, à l’humeur du chef, au
programme de travail envisagé, aux projets de difficultés à résoudre ou de compétences
à acquérir, etc.. , des besoins à chaque fois différents.
Le rôle du chef de chœur est
essentiel dans les choix pédagogiques et musicaux, par ses capacités à
l’écoute, à prélever les informations subjectives qui émanent du groupe, à
adapter l’exercice approprié à l’objectif sous-tendu, à partir de ses
compétences vocales, pour proposer en termes d’images suggestives d’une part et
de formules d’exercices d’autre part.
Les exercices de mise en
voix sont donc avant tout personnels, propres au chef et au chœur pour nombre
d’entre eux, ciblés, musicaux, variés, protéiformes et plaisants.
Tous mes remerciements à Martine JOLY-LE ROY, médecin phoniâtre –
Polyclinique d’Armor – 22300 Lannion – pour ses conseils, sa relecture et ses
suggestions.
Michel LEMEU
Chœur de Chambre Variation
XXI - Mars 2000